Les origines du puzzle


Un peu d'histoire / vendredi, août 24th, 2018

Historique du puzzle simplifié

Le puzzle, célèbre jeu de patience et source de nombreuses heures de divertissement chez les petits comme chez les grands, possède une origine très ancienne et sujette à de nombreuses polémiques au sein des historiens. Plusieurs pays en revendiquent la paternité : Suède, Angleterre, France, ou encore Hollande. Un certain nombre d’historiens, au regard du caractère plus précis des informations, considère qu’il fut inventé par le Britannique John Spilsbury, cartographe et graveur de métier, dans le courant de la décennie 1760. Si la date précise de l’invention n’est pas connue, elle est cependant estimable : en effet, divers écrits mentionnent par exemple l’existence en 1763 d’un graveur et découpeur de carte nommé John Spilsbury – l’homme débuta en effet le découpage de cartes collées sur un support en bois, pour faciliter l’apprentissage de la géographie. Le puzzle a donc une origine pédagogique avant d’être devenu le célèbre jeu que l’on connaît.

A partir de 1766, Spilsbury créa huit modèles de l’ancêtre du puzzle sur les variations suivantes : le Monde, Europe, Asie, Afrique, Amérique, Angleterre et pays de Galles, Irlande et Écosse.

Ci-dessus : l’un des « puzzles » créé par John Spilsbury, en 1766, représentant l’Europe

Les origines du mot « Puzzle »

Ce jeu de patience ne prit cependant pas immédiatement son nom définitif de « puzzle » et il faudra attendre plusieurs décennies pour que ce nom apparaisse.

Au tout début en effet, John Spilsbury faisait des « dissections de carte » et il faut attendre longtemps avant que ce nom ne change. En raison du fait que les premiers puzzles étaient constitués de cartes collées sur un support en bois ou de peintures directement faites sur des planches de bois également, et découpées ensuite avec ledit support, leur nom anglais devient « Jigsaw puzzle » vers les années 1880. Jigsaw se traduit par « scie sauteuse » mais bien évidemment, à cette époque cet outil n’existait pas réellement sous l’apparence que l’on connaît aujourd’hui. Les puzzles étaient en réalité découpés à la scie à chantourner (qui se traduit par fretsaw), ce qui fait dire aux historiens que le nom de « jigsaw puzzle » est une erreur commise à l’époque pour une raison indéterminée.

Aujourd’hui encore, dans le monde anglo-saxon, on utilise le terme de « jigsaw puzzle » pour décrire la version classique du puzzle, quand bien même ce dernier ne serait plus ni en bois (mais en carton), ni découpé à la main (mais au laser, par une machine automatique). En France on a coutume depuis longtemps d’utiliser le terme raccourci de « puzzle » tandis que nos amis québécois utilisent plus volontiers « casse-tête ».

Les évolutions à travers le temps

Conçu à ses débuts comme un support d’apprentissage de la géographie, le puzzle devient très rapidement un jeu lorsque les images placées sur les supports en bois se diversifient : animaux, scènes de la vie, et autres monuments deviennent emblématique du fameux jeu de patience. Leur développement commercial est toutefois limité à une certaine partie de la population pour de multiples raisons, notamment liées à sa méthode de fabrication entièrement manuelle.

Au début du XXème siècle et notamment dans les années 1920 – 1930, le puzzle bénéficie des avancées de l’industrialisation. Sa fabrication peut être prise en charge par des machines et on assiste alors à une véritable fabrication de masse. Son coût de production allant en diminuant grâce également à l’utilisation de carton, moins coûteux que des planches de bois, le puzzle devient un jeu très accessible dont le prix permet une expansion rapide dans les foyers. La célébrité du puzzle est dès lors acquise et on en trouve couramment dans tous les foyers, qu’il s’agisse de puzzles pour enfant ou de modèles plus compliqués pour adultes.

Par la suite, le puzzle restera un jeu courant mais ses nombreuses évolutions, notamment fin du XXème et début du XXIème siècle sur le plan du numérique, marquent un léger déclin du produit traditionnel en carton au profit d’applications mobiles et jeux utilisables via un navigateur internet. Grâce à l’essor de la photo numérique grand public, le puzzle classique connaît un regain d’intérêt par l’invention du puzzle photo personnalisé, que l’on peut commander sur Internet après avoir envoyé une photo personnelle.

Historique du puzzle détaillé

1) Le XVIIIème siècle

1.1) L’Ancien Régime

Au chapitre de l’éducation, le XIVème siècle et les siècles suivants voient se développer les « petites écoles » destinées à donner une instruction de base aux enfants (lire, écrire, compter). Le pouvoir royal les encourage, mais refuse de s’impliquer dans leur organisation et leur financement, les laissant ainsi sous la dépendance des évêques et des communautés locales. Les ressources financières proviennent uniquement des familles ; l’enseignement reste donc réservé aux classes aisées et son suivi est très aléatoire. Conséquence inéluctable, ces petites écoles sont essentiellement présentes dans les villes et généralement réservées aux garçons. Dans le même temps, des collèges de taille plus importante et tenus par des ordres religieux commencent à apparaître. Les Jésuites, par exemple, fondent pendant cette période de nombreux établissements prestigieux dans lesquels l’enseignement est gratuit ; le plus célèbre est l’actuel lycée Louis-le-Grand à Paris. C’est aussi avant la Révolution que sont créés les premiers établissements de formation supérieure spécialisée, notamment pour le génie ; ces centres préfigurent les futures grandes écoles.

1.2) L’œuvre de la Révolution

Au début de la Révolution, le 22 décembre 1789, l’Assemblée constituante décide la division de la France en 83 départements, entraînant une très grande simplification de l’organisation incroyablement maillée de l’Ancien Régime. La nécessité de développer des aides pour que les enfants mémorisent plus facilement les départements et leur organisation devient de plus en plus vive. Mais avec les conquêtes napoléoniennes et la démultiplication des départements (113 en 1798, 130 en 1811), l’utilisation des jeux de patience comme support pour maîtriser l’enseignement de la géographie subit un ralentissement important. Leur grande rareté en est un excellent témoignage. Dans le même temps, l’éducation n’apparaît pas comme une question prioritaire et l’enseignement de l’Ancien Régime perdure. Cependant, le 25 décembre 1793, la Convention vote un texte fondateur : l’enseignement sera laïc, gratuit et obligatoire. L’accès à l’école pour tous va être un formidable tremplin pour le développement de tous les outils d’aide pédagogique. Les universités sont remplacées à partir de 1794 par des écoles professionnelles (écoles de Droit et de Médecine), et par la mise en place des premières grandes écoles, comme l’École Polytechnique, fondée en 1794. Le 25 octobre 1795, la réforme organise un enseignement primaire, mais sans obligation, et des écoles centrales pour le secondaire. C’est à la même période que Condorcet lance le mouvement de l’éducation permanente qui doit permettre à tout citoyen de se former tout au long de sa vie. Le Conservatoire National des Arts et Métiers est créé à cette époque.

1.3) Les premiers puzzles

L’apparition des premiers puzzles fait l’objet de controverses entre experts, et de nombreux pays en revendiquent la paternité :

La Suède

C’est, à ce jour, la référence la plus ancienne – Bekkering Geert dans leur étude sur le puzzle hollandais, rappellent l’histoire racontée par Quillet Bernard dans son livre « Christine de Suède » : la Reine ordonna que ses plus belles peintures soient découpées en morceaux et collées au plafond. Cette histoire se serait passée vers 1650 selon Chevreau Urbain, écrivain contemporain de la Reine et qui a vécu auprès d’elle.

L’Angleterre

L’Angleterre a la chance d’avoir deux challengers sérieux et une troisième option partagée avec la France pour revendiquer la place de premier : Certains comme Hannas Linda, font référence à John Spilsbury, un jeune cartographe londonien, pour l’invention du premier « jigsaw puzzle » aux environs de 1760 ; celui-ci vend ses articles comme outils éducatifs « pour faciliter l’enseignement de la géographie » comme l’indique une de ses cartes de visite. Ses cartes découpées ont un succès immédiat au sein de la haute société qui se sent concernée par le progrès intellectuel de sa progéniture. Il agrandit alors sa liste de puzzles cartographiques en incluant les régions lointaines comme l’Afrique, les Amériques, la Jamaïque, aussi bien que la Bretagne ou le monde. Bien que la mort prématurée de John Spilsbury en 1769 mette un terme à son triomphe, les jeux de patience sont lancés. Il reste à ce jour le premier à avoir commercialisé ce jeu sur une large échelle ; D’autres l’attribuent à l’Anglais Darton qui semble le premier à déposer un brevet d’invention en 1793 – Darton fabrique des puzzles jusqu’en  1818- 1820. Sa découpe est très peu détourée et son support en acajou. La mention qu’il porte sur ses étiquettes comme étant le premier inventeur est sans doute pour lui un argument commercial ; Troisième option partagée avec la France grâce à Jeanne-Marie Le Prince Beaumont qui travaille en Angleterre de 1748 à 1762 comme directrice d’école, gouvernante et éditeur. Elle développe comme outil pédagogique l’usage de cartes sur support de bois dans les années 1750 (donc avant John Spilsbury), sans qu’il soit à ce jour certain que ces cartes soient découpées. La présomption est cependant forte car :

  • 2 coffrets en acajou contenant des cartes et vendus par Christie’s en 2000 auraient appartenu à Lady Charlotte Finch (gouvernantes des enfants du Roi George III et de la Reine Charlotte) ; deux des cartes portent le cartouche de John Spilsbury.
  • Jill Shefrin rapporte dans son livre « Such Constant Affectionate Care », les écrits de Thomas Grimstone à son père le 3 juillet 1765 : « I lost one of the countis of my wooden map, the name is Flinshire – do you think I can get another one

[1],clarifiant ainsi la découpe de cartes collées sur du bois et découpées selon les pays ou comtés.

La Hollande

Bekkering Geert a récemment contesté la place de premier attribuée à John Spilsbury (cf. leur livre « Stukje Voor Stukje » Amsterdam – Van Soeren -1988). Il note que certains puzzles hollandais utilisent des cartes imprimées par Covens & Mortier d’Amsterdam aux environs de 1725. Il n’est cependant pas évident que l’entreprise ait un jour découpé des puzzles, ou que ces puzzles aient été découpés avant 1760. Les découpeurs hollandais ont pu effectuer leur travail après Spilsbury en utilisant des cartes anciennes. Les Bekkering contrent ces arguments en expliquant qu’une carte démodée est inacceptable pour des consommateurs éclairés. Ils en concluent que ces puzzles cartographiques hollandais ont été découpés à la même époque que celle de leur impression, i.e. vers 1730, donc bien avant l’époque de John Spilsbury.

La France

Elle a de sérieux défenseurs pour essayer de tenir la place avec elle-aussi trois prétendants :

  • en 1762, un dénommé Dumas se met à vendre en France, des cartes géographiques découpées dont il faut ensuite réunir les morceaux. Cependant aucun élément probant ne permet d’accréditer cette thèse ;
  • lors de l’Exposition Universelle de Paris en 1900, d’Allemagne Henry-René attribue l’invention du jeu des cartes géographiques découpées en 1812 à M. Gaborit qui recommande sa découverte comme « fort utile pour l’amusement et l’instruction des enfants ». En tout état de cause, cette date largement postérieure à John Spilsbury, discrédite cette option ;
  • la France à nouveau en collaboration avec l’Angleterre grâce à Jeanne-Marie Le Prince Beaumont cf. plus haut. C’est en l’état actuel des connaissances la meilleure chance de succès pour la France. En effet, les puzzles les plus anciens recensés en France sont de 1769, et visibles à la Bibliothèque Nationale de France.
  • Les USA : la Lilly Library de l’Université d’Indiana possède un ensemble de 24 pièces carrées qui forment une image datée 1730-1741 ; la Bibliothèque se réfère à ces dates pour justifier du 1er puzzle connu.
  • L’Allemagne : Bekkering Geert a retrouvé un livre sur l’enseignement de la Géographie par Hauber (1720) dans lequel il est écrit : « … Vous pouvez aussi coller une carte sur du bois, la découper, et avoir vos élèves pour l’assembler… ». Il n’a malheureusement pas encore trouvé de puzzles de cette époque qui confirmerait que l’usage du puzzle existe en Allemagne depuis le début du XVIIIème siècle.

Renan Ary écrit dans la Gazette des Arts de janvier 1893 dans son article « L’Art Arabe dans le Maghreb » : « Nous avons vu qu’il existe à Tlemcen autre chose que des carreaux de majolique ou de faïence rapprochés les uns des autres. Il y a des mosaïques de faïence. Entendons-nous tout de suite sur ce terme : il ne s’agit pas de briques de même dimension, estampées dans une centaine de matrices, et émaillées ensuite, comme celles qui, superposées, constituent la frise des Archers de Suez ; il s’agit de découpures, de filets, de fragments aux formes les plus variées qui, juxtaposés suivant un carton, forment un dessin régulier ; c’est de la mosaïque à grand morceaux ; c’est un jeu de patience. » Cet article pose ainsi la question sur les premiers puzzles : les mosaïques sont-elles des puzzles ? Si la réponse est positive, alors, l’histoire remonte rapidement beaucoup plus loin dans le temps. L’antiquité romaine nous donne ainsi de superbes exemples à Pompéi ou Herculanum fondées au VIème siècle av. J.C. Certes, mais elles ne sont pas en bois ! Et les vitraux, sont-ils des puzzles ? Oui, mais le composant utilisé, le verre, les exclut de cette étude. Et pourquoi ne pas rêver pour le puzzle en bois de découvertes encore plus anciennes ? Rappelons quelques évènements qui ouvrent des horizons quasi illimités :

  • Gutenberg est né en Allemagne en 1400 et a vécu au XVème siècle; avec lui, l’imprimerie s’est développée considérablement ;
  • la table de Peutinger est l’ancêtre des cartes routières. Elle couvre tout l’empire romain, et même au-delà, jusqu’en Chine. C’est une reproduction, faite à la fin du XIIe siècle, d’une copie réalisée vers 350, dont l’original est encore plus ancien. Cette carte est découverte au début du XVIe siècle, à Worms. Elle est confiée à Konrad Peutinger, contemporain d’Érasme, qui la publie (d’où son nom) ;
  • le papyrus d’Artémidore, considéré comme la première carte géographique, est écrit et dessiné à la fin du 1er siècle av. JC. Sa découverte remonte aux années 1990 ;
  • et nous pourrions avoir encore des surprises avec la découverte de puzzles beaucoup plus anciens en provenance de Chine, de la civilisation Maya, … !

En France, les premiers puzzles recensés sont des cartes géographiques découpées. Anne D. Williams fait ainsi référence dans son livre à ceux qui sont présentés dans le catalogue Gumuchian (« Les Livres de l’Enfance du XVème au XIXème siècle »). Quant aux premiers puzzles français répertoriés par l’auteur, ils sont à la Bibliothèque Nationale Française. Premiers puzzles français connus :

  • « Carte d’Europe dressée pour l’usage du Roy sur les Itinéraires anciens et modernes et sur les Routiers de mer assujettis aux observations astronomiques” – Carte établie en 1724 par Delisle Guillaume et augmentée par son gendre Buache en 1760 et 1769 – 64*50 – Carte gravée sur cuivre et coloriée à la main – 48 pièces – manque 3 pièces (France, Pologne et Russie)- découpe très précise – bois dur de 5 mm d’épaisseur (citronnier?) – pas de papier contrecollé au dos – 1769 – code BNF : GE A- 305
  • 2 puzzles dans une boîte qui porte sur son couvercle une étiquette – M. le Cte de Chastellux : « Carte d’Afrique dressée pour l’usage du Roy » – 1772, et « Carte d’Amérique dressée pour l’usage du Roy »- 1763. Ces cartes ont été établies par Guillaume Delisle et corrigées et augmentées par son gendre Philippe Buache – 34 et 38 pièces – complet – découpe très précise – bois dur 5 mm d’épaisseur (citronnier?) – sans doute la même facture que le précédent –code  BNF : GE A- 303 et 304

[1] [J’ai égaré un des pays de ma carte en bois, son nom est Flintshire – pensez-vous que je peux en avoir un autre],

2) De Napoléon à Jules Ferry

2.1) L’enseignement prend véritablement son essor

Sous le Consulat, sont fondés les premiers lycées (en 1802), à côté desquels subsistent des collèges considérés comme secondaires. Outre les dispositions institutionnelles, un arrêté de 1810 organise le monopole de l’enseignement d’État. Selon le décret, les différents ordres d’enseignement sont les facultés, les lycées, les collèges, les institutions, les pensionnats et les écoles primaires. Les écoles de Médecine et de Droit reprennent le nom de facultés, pendant que sont créées les facultés des Lettres et des Sciences. Sous la Restauration, en 1815, la France est réorganisée en 86 départements. Au chapitre de l’enseignement, l’ordonnance du 29 février 1816, dans son article 14, oblige les communes à « pourvoir à ce que les enfants qui l’habitent reçoivent l’instruction primaire, et à ce que les enfants indigents la reçoivent gratuitement ». L’administration crée en 1823 l’examen du baccalauréat. Avec la loi Guizot de 1833, les communes de plus de 500 habitants sont tenues d’avoir une école de garçons. La Loi Falloux de 1850 cherche à développer l’enseignement primaire en fixant le principe d’une école de garçons dans toutes les communes, et d’une école de filles pour « celles qui en ont les moyens ». Elle officialise la dualité des systèmes d’enseignement : à côté d’un enseignement public financé par l’État, peut se développer un enseignement « libre » essentiellement formé d’écoles catholiques. En 1863, Victor Duruy, Ministre de l’Instruction Publique jusqu’en 1869, oblige les communes de plus de 500 habitants à créer une école de filles (10 avril 1867). Cependant, aucun gouvernement jusqu’en 1880 n’instaure l’obligation d’éducation. C’est là que va résider l’une des grandes nouveautés de Jules Ferry. Sources : WPA (Extraits de l’Histoire de l’Education en France)

2.2) Les premiers pas de la profession

Les premiers jeux de patience se présentent généralement dans une boîte en carton richement décorée qui permet de superposer plusieurs planches (généralement 3, 5, 7 ou 8). Chaque planche a un support muni de deux petites languettes sur le côté afin d’en faciliter l’extraction de la boîte. Cette présentation très luxueuse réserve de fait l’achat de ces premières boîtes par les familles riches de la noblesse et de la haute bourgeoisie. Cependant, des changements dans le mode de fabrication réduisent le prix des jeux de patience et les rendent plus accessibles aux consommateurs. Les fabricants évoluent en utilisant des bois plus mous et moins chers. La lithographie remplace bientôt le procédé de gravure très dévoreur de temps. Les planches ont très rarement plus de 50 pièces et sont destinées essentiellement aux enfants et jeunes adolescents. Avec l’obligation de créer des écoles d’abord de garçons puis de filles dans les communes de plus de 500 habitants, l’accès à l’histoire et la géographie se développe, facilitant ainsi le travail des vendeurs de jeux de patience dont l’objectif reste encore essentiellement pédagogique. Les thèmes utilisés comme reproduction à cette époque sont la géographie d’abord puis les thèmes historiques à partir de 1810 (il est étonnant de constater l’utilisation aussi tardive de ces thèmes que les anglais maîtrisent déjà depuis 1785) : la richesse de l’histoire de cette période constitue une source inépuisable pour de nombreux dessinateurs et la diffusion de leurs œuvres est grandement facilitée par la technique de l’impression lithographique :

  • chronologies : elles reprennent les personnages historiques (chronologies des rois de France par exemple), les événements de la vie d’un personnage célèbre… exemple : « Bataille de Waterloo » – 3 pl. évoquant les grandes batailles de Napoléon: Austerlitz, Wagram et la Moskowa – éditeur Codoni – lith. Jannin H. – 24.5*19 – ca. 1848 – adjugé 800 € aux enchères par Osenat Fontainebleau le 5 décembre 2010
  • événements : conquête de l’Algérie(1830), intervention en Italie (1849),  guerre de Crimée (1853-1856), guerre de 1870, du Tonkin (1881-1885), etc. La représentation de scènes sanglantes  de batailles utilisée comme jeu des enfants est le prélude des actuels wargames et autres jeux vidéo ultra-violents qui font aujourd’hui fureur auprès de nos jeunes têtes : « La Guerre de Crimée » – 1856 – éditeur Duru – imprimerie Castille – Centre de Documentation des musées des Arts Décoratifs – Paris

Viennent ensuite les thèmes religieux avec le développement des écoles tenues par les religieux : « Les Tableaux : La Cène » – Artiste : L. de Vinci – fabricant inconnu – découpe réalisée sans doute en Allemagne – Graveur : Ducollet – 32,5*23 – 48 pièces – coffret étui –  ca. 1820 – collection privée Puis, vers 1850, des sujets plus amusants, incluant des scènes d’enfants et des contes :« Les Plaisirs de l’Enfance » – 3 pl. de 40 pièces – 36*26 – éditeur inconnu – imp. Van Leer L. & Cie  – ca. 1890 – collection privée Ou des thèmes plus culturels ou encyclopédiques : “Les Métiers » – 3 pl. de 30 pièces – 27,5*25 – éditeur inconnu – lith. Méheux – ca. 1880

3) La période 1880 – 1915

3.1) Une période cruciale pour l’enseignement

Les années 1880 sont marquées par des changements fondamentaux dans le système éducatif français, mouvement essentiellement porté, du moins au début, par Jules Ferry et son principal conseiller Ferdinand Buisson. Ces lois Ferry, qui rendent l’école laïque obligatoire et gratuite, sont l’aboutissement d’un mouvement de démocratisation de l’école. La loi instaure un enseignement obligatoire de 6 à 13 ans, les enfants pouvant toutefois quitter l’école avant cet âge s’ils ont obtenu le certificat d’études primaires. La laïcité, proclamée dès 1881 avec la suppression de l’éducation religieuse dans l’enseignement public, est renforcée par la loi Goblet (1886), qui interdit aux religieux d’enseigner dans le public. L’école devient alors un ascenseur social pour tous les enfants d’ouvriers et d’agriculteurs qui accèdent à l’éducation. Les instituteurs sont la cheville ouvrière de ce système qui tient grâce à cette croyance dans le progrès social apporté par l’école ; ils s’en font le relais.

3.2) L’industrialisation de la profession

L’apparition des Grands Magasins (Aux Trois-Quartiers – 1831, Le Bon Marché – 1852, Les Grands Magasins du Louvre – 1855, A La Belle Jardinière – 1856, Le Printemps – 1865, La Samaritaine – 1865, Les Galeries Lafayette – 1895…) stigmatise l’offre et la concurrence, exerce une forte pression sur les prix, et développe les volumes. La concurrence étrangère, notamment allemande, s’intensifie ; mais les entreprises françaises ne bénéficient pas des nombreux avantages des sociétés allemandes : système bancaire très facilitant (développement de l’escompte), droits de douane moins élevés, etc. Les expositions universelles et les foires internationales sont l’occasion d’afficher leur dynamisme économique. De même leurs méthodes commerciales très proches des acheteurs  (catalogues, voyageurs de commerce, …), développent la notoriété de leurs produits, alors que les fabricants français de jouets et de jeux sont très parisiens. Dans ce contexte économique difficile, les fabricants tentent cependant de s’organiser :

  • ils créent en 1891 la Chambre Syndicale des Fabricants de Jouets et de Jeux qui lance la revue de la profession « Le Jouet Français » ;
  • ils se regroupent pour atteindre une taille plus importante par :
    • association commerciale avec la création des Jeux et Jouets Français en 1904 qui regroupe Perret Paul, Wogue Alphonse puis A. Wogue et Levy G., Simonin-Cuny puis Simonin-Cuny & Cie et Mauclair Dacier, puis Delhaye Louis et Alphonse puis Delhaye Frères en 1905 ;
    • acquisition : Revenaz et Tabernat achète Watilliaux Charles Auguste en 1908 ;
  • ils se donnent de nouvelles appellations pour se donner une image plus forte : Revenaz et Tabernat devient LJR – Les Jeux Réunis en 1915.

Du côté fabrication, les changements sont très nombreux et importants :

  • création d’usines de taille de plus en plus conséquente (Usine N.K. Atlas de 5 000 m² à Méru dans l’Oise) pour :
    • faire face à la pression sur les prix exercée par les grands magasins et la concurrence étrangère notamment allemande ;
    • répondre aux besoins de volume ;
  • massification des achats liée à des volumes plus importants ;
  • nouvelles techniques d’impression (lithographie, chromolithographie, photo…) ;
  • apparition en France du contreplaqué (vers 1910) ;
  • amélioration des performances de découpe avec l’apparition des scies à chantourner  vers 1876.

Ces changements entraînent un abaissement significatif des coûts de production. Le prix des puzzles devient de plus en plus abordable et la clientèle s’élargit. Le développement des moyens de communication facilite aussi l’apparition de produits importés des USA ou d’Angleterre, et avec eux l’émergence de nouvelles offres et de nouvelles techniques de découpe. Vers 1910, le mot puzzle fait son apparition dans les catalogues d’étrennes des Grands Magasins et les premières offres de produits spécifiques pour « grandes personnes » sont enfin présentes sur le marché. La bourgeoisie et l’aristocratie se retrouvent dans les salons parisiens pour faire ensemble ce nouveau jeu de patience qui vient des Etats Unis. La première guerre mondiale vient mettre un frein brutal à ses réunions mondaines autour d’un puzzle, mais la mode du puzzle pour adultes est véritablement lancée. Avec ces nouveaux acheteurs, les thèmes s’élargissent vers des scènes de la vie courante.

4) L’entre-deux-guerres et Vichy

4.1) Le développement des filières techniques

L’entre-deux-guerres est marqué par l’essor de l’enseignement technique avec l’adoption de la loi Astier (1919) qui crée des établissements spécialisés. Dans les années 1930, pour le gouvernement, la finalité de l’école est l’égalité de la société. Il en arrive même à concevoir que c’est à la société de créer les emplois qui accueilleront les jeunes adultes ainsi formés par le dispositif scolaire. Pendant la seconde guerre mondiale, le gouvernement de Vichy innove assez peu en matière scolaire ; cette période est même marquée par une forme de réaction, un retour en arrière. Par exemple, l’enseignement secondaire qui était devenu gratuit en 1933 redevient payant, les écoles normales sont supprimées car trop porteuses des valeurs républicaines.

4.2) L’internationalisation-concentration des fabricants et éditeurs de puzzles

Les toutes premières années de cette période utilisent les thèmes militaires pour faire l’apologie de la victoire et du courage des combattants : « Panorama de la Guerre de 1914 – Le Canon de 75 en Action » – imp. Prieur et Dubois – 3 pl. – Ca. 1916 – collection privée Plus généralement, le puzzle s’adresse de plus en plus à des tranches d’âge différentes, de la toute petite enfance (nouveauté du siècle) à l’âge adulte, demandant ainsi des produits adaptés, et faisant appel à des techniques particulières. L’approche marketing de ce marché est enfin intégrée par les fabricants : les américains, Parker Brothers notamment, envahissent la France avec une stratégie commerciale très innovante, l’utilisation de marques différentes pour donner l’impression d’une concurrence forte. Les fabricants français comme Brepson, Esman Frères, Jeux et Jouets Français – J.J.F… font preuve eux-aussi en réaction d’une grande créativité. Il est alors possible d’acheter sur le marché français des puzzles sous les marques American Puzzle, American Puzzle « Modern », New American Puzzle, Jig-A-Jig de Parker – Paris, Jig-Saw Puzzle Paris, Perplexité Artistique, France-Puzzles-Paris, Anglo-American Puzzle… Le puzzle n’est plus seulement éducatif ; il devient ludique. Avec la crise de 1929 et la forte récession qui l’accompagne aux Etats Unis et en Europe, l’industrie du puzzle, maintenant mondiale, vit une formidable révolution : le développement du carton grâce à sa très grande simplicité de fabrication et d’utilisation. La technique du matriçage permet de produire un puzzle en carton à très grande vitesse et pour un coût de revient dérisoire. Cette véritable révolution technologique met une pression énorme sur les fabricants de puzzles en bois qui, pour résister, sont obligés de baisser de façon drastique leurs prix de vente. Les puzzles ne sont plus découpés à l’unité mais par ensemble de 3 puis 4 planches simultanément. La présence de petits trous dans les puzzles du XXème siècle est le résultat de cette technique. Le développement des puzzles pour enfants connaît une période de croissance importante avec les premiers partenariats entre fabricants et grands producteurs de films pour enfants ou de bandes dessinées. Tchertoff Alexandre a ainsi signé en 1932 l’accord de fabrication sous licence des personnages de Walt Disney. Pendant la seconde guerre mondiale, la fabrication de puzzles semble tomber en léthargie. Vera, la société créée par Tchertoff Alexandre, est sans doute une des rares entreprises à poursuivre son activité pendant cette période (notamment avec la création de jeux créés avec l’aval des autorités militaires françaises), mais les informations disponibles sont malheureusement peu nombreuses sur cette période.

5. De la Libération à nos jours

5.1) L’enseignement se généralise

Pendant la Libération, le rapport Langevin-Wallon propose de nombreuses mesures de modernisation de l’enseignement, pour faire face à la massification de l’enseignement qui se profile : allongement de la scolarité à 18 ans, généralisation des expériences, mouvements de l’éducation nouvelle, et élaboration d’une école unique. Ce projet sera enterré faute de moyens. En 1959, avec la réforme Berthouin, la scolarité obligatoire passe officiellement à 16 ans, bien que son application ne soit achevée qu’en 1971. Les collèges deviennent des collèges d’enseignement général (CEG). La loi Debré de 1959 instaure aussi des contrats avec les écoles privées, dont les enseignants sont rémunérées par l’Etat à condition que celles-ci enseignent le même programme scolaire que dans le public (écoles dites sous contrat), tandis que le catéchisme devient une option (les écoles privées sont en effet majoritairement catholiques). Faute d’avoir su se moderniser pour faire face à cet accroissement du nombre d’élèves et de leurs attentes, l’enseignement français est au bord de la rupture dans les années 1960 jusqu’à la révolte de mai 1968. À la suite du mouvement de mai 1968, l’Université est réformée, menant entre autres à plus d’autonomie et à une démocratisation de son administration (loi Faure de 1968). La mixité devient la norme à tous les niveaux d’enseignement. En 1975, la loi Haby instaure le principe du collège unique pour tous les élèves, et la loi Jospin de 1989 place l’élève « au centre du système éducatif ». Même si le niveau de formation s’est élevé (avec près de 80 % de succès d’une classe d’âge au  baccalauréat), le rôle d’ascenseur social du système éducatif reste fortement contesté.

5.2) La spécialisation de la profession :

Pour faire face à la segmentation du marché et à sa relative stabilité, les intervenants se spécialisent : les fabricants de puzzle sont, à de très rares exceptions près, des fabricants de puzzles soit en carton, soit en bois, soit en plastique. Les techniques de fabrication sont en effet très différentes, et les cibles clients n’ont pas grand chose en commun. Dans l’enseignement,  l’utilisation des puzzles devient de plus en plus anecdotique. Les cartes de France découpées selon les départements, d’Europe selon les pays, d’Amérique selon les états… constituent les seuls modèles qui résistent au temps.

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